« L’unique médecin du peuple, pendant mille ans, fut la Sorcière. Si elle ne guérissait, on l’injuriait, on l’appelait sorcière.
Mais généralement, par un respect mêlé de crainte, on la nommait Bonne dame ou Belle dame (Bella donna), du nom même qu’on
donnait aux Fées.
(...) Quand Paracelse, à Bâle, en 1527, brûla toute la médecine, il déclara ne savoir rien que ce qu’il apprit des sorcières.
Cela valait une récompense. Elles l’eurent. On les paya en tortures, en bûchers. On trouva des supplices exprès ; on leur inventa
des douleurs. On les jugeait en masse, on les condamnait sur un mot. Il n’y eut jamais une telle prodigalité de vies humaines.
L’Église, qui, profondément, de tout son cœur, haïssait Satan, ne lui fonda pas moins son monopole, pour l’extinction de la
Sorcière. Elle déclare, au XIV éme siècle, que si la femme ose guérir, sans avoir étudié, elle est sorcière et meurt.
Au mot Sorcière, on voit les affreuses vieilles de Macbeth. Mais leurs cruels
procès apprennent le contraire. Beaucoup périrent précisément parce
qu’elles étaient jeunes et belles.(....) on en brûle sept mille à Trèves, et je ne
sais combien à Toulouse, à Genève cinq cents en trois mois (1513), huit cent
à Wurtzbourg, presque d’une fournée, mille cinq cents à Bamberg (deux
tout petits évêchés !). Je trouve, dans la liste de Wurtzbourg, un sorcier de
onze ans, qui était à l’école, une sorcière de quinze, à Bayonne deux de
dix-sept, damnablement jolies.
Notez qu’à certaines époques, par ce seul mot Sorcière, la haine tue qui
elle veut. Les jalousies de femmes, les cupidités d’hommes, s’emparent
d’une arme si commode. - Telle est riche ?... Sorcière. - Telle est jolie ?...
Sorcière. Les accusées, si elles peuvent, préviennent la torture et se tuent.
Remy, l’excellent juge de Lorraine, qui en brûla huit cents, triomphe de
cette terreur. « Ma justice est si bonne, dit-il, que seize, qui furent arrêtées
l’autre jour,n’attendirent pas, s’étranglèrent tout d’abord. »
Extrait du roman de Jules Michelet, La sorcière (1862)